La nouvelle traduction des « Joueurs » de Gogol par Marie-Jeanne Jarry
Les Joueurs de Gogol mis en scène par Laurent Busson pour le Théâtre du Beau fixe a bénéficié d’une nouvelle traduction par Marie-Jeanne Jarrry. Voici ce qu’elle en dit, repris de Théâtralités
Laurent Busson, le metteur en scène des Joueurs de Nicolas Gogol, m’avait demandé de l’aider à adapter la pièce pour la jouer. Durant toute ma vie active, j’étais en effet traductrice interprète de russe, mais dans les domaines techniques, ce qui est très différent et, depuis que je suis à la retraite, je pratique le théâtre amateur.
Le texte traduit en français qu’il ma présenté était traduit fidèlement, mais c’était justement le problème : il était très difficile de le mettre sur une scène de théâtre français tel quel. Dans le domaine de la traduction littéraire, il y a clairement deux écoles : la traduction dite « fidèle », c’est à dire presque mot à mot, et la traduction adaptée. Un excellent exemple en est la traduction de Moby Dick par Jean Giono, qui a réussi à en faire une très belle œuvre littéraire.
J’ai donc proposé à Laurent Busson de refaire complètement la traduction à partir du texte russe de Gogol.
Gogol a écrit cette pièce en 1842 : Il décrit le monde des marchands dans la Russie provinciale du XIXème siècle. C’est aussi l’époque où Pouchkine écrit « la Dame de Pique » (1834) et où Dostoïevski écrit « Le joueur » (1866). J’ai donc tenté, dans cette traduction, de restituer cette comédie pour une scène de théâtre en français et, particulièrement, les indices que Gogol suggère dans la langue difficile de cette comédie. Il utilise en effet souvent des dictons ou des références bien connus dans le parler russe provincial dont la traduction ne peut pas se faire mot à mot pour la scène française et que j’ai tenté de transposer (ex. « tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle casse »). Même les noms propres sont suggestifs : j’ai gardé « Krugel » (de l’allemand « der krug « : la cruche), mais j’ai tenté de conserver la notion de « consolation» (en russe « Outechitelny ») en l’appelant « Apaisov », lui donnant, ainsi, en même temps une connotation russe. Dans la scène 16, Apaisov évoque « Souvorov », que j’ai transposé en « général Koutouzov », qui sera sans doute mieux compris sur une scène française, Koutouzov étant un général qui est plutôt mieux connu des français.
Nous nous sommes souvent réunis avec Laurent Busson pour faire le point, et c’était un réel plaisir de travailler avec lui. A sa demande, j’ai rajouté quelques connotations en russe, comme La Madelon quiévoque un certain enthousiasme militaire pour le français et pour laquelle j’ai refait un texte qui a le même sens en russe et que les comédiens chantent en russe.
Mais quand j’ai vu « Les Joueurs » mis en scène par Laurent, je suis tombée vraiment en admiration devant son adaptation sur scène : je trouve que c’est un très bon spectacle : il y a des trouvailles, comme les balles. Tout sonne juste et c’est très précis.
Marie-Jeanne JARRY.