Avignon : le plus grand théâtre du monde !
Marie-France VAINGUER, de la Cie TAM de Moissac nous parle de son séjour au Festival d’Avignon 2012
Avignon au mois de juillet c’est le plusgrand théâtre du monde ! Même si l’on n’est pas fan de théâtre, il faut absolument faire l’expérience de vivre quelques jours du festival dans cette superbe ville historique entourée de remparts rien que pour le spectacle : tous les spectacles !
En juillet, tous les ans, la Cité des Papes devient un immense barnum sous le soleil de Provence et au son des cigales . Cela tient parfois du carnaval, souvent du caravansérail où se croisent les gens de tous horizons : écrivains, simples curieux, public en quête de spectacles, acteurs, bateleurs, acrobates, extravagants, distributeurs de tracts vantant les pièces …
Avec 1501 spectacles proposés dans le « Off » les théâtres permanents ne suffisent plus, tout ce qui peut servir de salle obscure est transformé en mini théâtre, avec clim et sécurité s’il vous plaît ! Le spectacle est également partout dans la rue : touristes de tous les pays aux tenues estivales, défilés de troupes en costume faisant la réclame de leur pièce, marchands de crèmes glacées, mimes, musiciens des rues, badauds dans les boutiques à produits provençaux : lavande, robes champêtres, huile d’olive, gourmands aux terrasses des restaurants régalant à toute heure … bref un flot humain bon enfant de gens heureux de pouvoir flâner et se détendre sous le soleil …
Allons, venez faire un petit tour avec moi dans le festival 2012… prenez de l’eau fraîche et le chapeau : ça tape dur ! Je vous propose la sélection des pièces que j’ai vues, même si j’ai conscience que ce choix était tout à fait subjectif et que je suis sans doute passée à côté de plusieurs merveilles.
Nous commençons par la pièce Fin de journée d‘André BENEDETTO avec Jean-Claude DROUOT, vous savez « Thierry La Fronde » à la télé dans les années 60, les fans se pressaient. Avec une comédienne de son âge ils évoquent, avec passion et humour, leur existence de couple voué au théâtre. Un bilan qui frise un peu le règlement de compte. Deux conceptions du rôle d ‘acteur : Lui, tourmenté et insatisfait. Elle, épanouie et sereine.
C ‘est une remarquable interprétation dans le mythique Théâtre des Carmes créé par le regretté André BENEDETTO, disparu en 2009. Cet auteur de théâtre (en français et en occitan) et metteur en scène fut, rappelons-le, le fondateur du festival « Off » d’ Avignon en 1966 par opposition au festival officiel dit le « In » élitiste, subventionné et, d’après lui, trop culturel, classique et guindé pour attirer les gens modestes.
Il faut absolument voir le chef d’œuvre de Victor Hugo Marie Tudor par la Compagnie 13 dans une mise en scène classique et avec d’excellents interprètes. Plutôt qu’un décor baroque, il faut imaginer l‘ambiance mystérieuse d’un brouillard nocturne londonien pour vivre un drame d’ amour et de trahison sur fond de vengeance et d’intrigue politique ; Du vrai théâtre comme on l ‘aime . Grandiose !
Pour un moment de détente j’ai opté pour La veuve de Pierre Corneille : 1H50 d’ une comédie en alexandrins où pourtant l’on ne s’ennuie jamais, enlevée par des comédiens très drôles (dont Isabelle De Botton) avec un acteur aux mimiques particulièrement irrésistibles dans le rôle du traître trahi.
Il fallait ne pas manquer l’autre grand chef d’œuvre de Victor Hugo Hernani par la Cie « Ici et Maintenant » avec un décor sobre, mais prestigieux, immense et mobile, de jeunes acteurs parfaits avec une force étonnante. Là on n’est plus au théâtre, on vit en direct un drame passionnel avec de multiples rebondissements tenant le spectateur en haleine et l’on retrouve la célèbre réplique de Dona Sol à Hernani «Vous êtes mon lion superbe et généreux, je vous aime !» Magnifique !
Dans un genre contemporain c’est Velouté de Victor Haïm que j’ai préféré, comédie grinçante à suspense psychologique par « Les 3 coups » avec un acteur vraiment étonnant dans un rôle de pervers d’entretien d’embauche plus vrai que nature, ça se termine en polar avec une fin inattendue lors de la dégustation du «velouté» ….
Un peu sur le même thème je me suis interrogée pendant Audience de Vaclav Havel : un intellectuel écrivain arrêté est mis à la disposition d un brasseur de bière suppôt du régime, complètement abruti. Ce dernier a du ingurgiter au moins 12 canettes de bière et sortir pisser, c’était prévu par le scénario ! – Toute l’absurdité des tracasseries des régimes totalitaires qui s’ingénient à casser la pensée et le refus.
Fan de Feydeau , je me suis payée 1H30 de rire avec Le Dindon : chez les Baba cool, par la « Cie Guépard Echappé » très burlesque avec pirouettes, cascades et des musiciens tsiganes pour le même prix ! Visiblement ces comédiens s’amusent beaucoup à nous distraire ! Jubilatoire !
Avec un Dom Juan (avec un ‘m’ ) de Molière revu par Hocquenghem dans un style avant garde j’ai été déconcertée ; imaginez 3 acteurs seulement, dont une actrice de 60 ans pour incarner toutes les femmes, qui ne se regardaient jamais, une bonne diction mais … pas d’expression gestuelle, de gros cubes noirs pour décor, des costumes actuels style survêtements … bref une interrogation pour moi, mais vous auriez peut être apprécié !.
Il fallait que je revois la troupe « Les larrons » qui fait partie de mes incontournables ! Avec L’Echange de Claudel je vécus 1H 40 d’un drame poignant : vers 1830, un jeune couple aux USA dans la misère confronté à un couple arrogant et fortuné. Le très jeune mari de 20 ans immature vend son épouse de 35 ans, qui l ‘aime et lui a tout apporté, à un riche négociant à qui elle plaît – Parfait, un décor extérieur naturel en bois, 4 acteurs irréprochables avec une héroïne en larmes à la fin. Très émouvant !
Puis j’assistai au drame-témoignage HIMMELWEG de l’auteur espagnol Jaun Mayorga: pendant la Shoah les responsables allemands, en plein camp de concentration, mettent sur pied un faux village Juif paisible et heureux pour faire illusion auprès des autorités sanitaires. Un émissaire de la Croix Rouge n’a rien vu d’anormal malgré le bruit des trains qui arrivaient … Ensuite on voit la mise en scène se construire sous la houlette d’un théâtreux Juif requis d’office : enfants qui jouent, amoureux qui se disputent sur un banc, artisans au travail, boutiques, jet d’eau … Le machiavélisme de l’ état nazi à l état pur.
Méfiante, j’ai du entrer dans les bas-fonds d’un garage « enfumigé » pour En attendant Godex du Roumain rescapé du communisme Corneliu Mitrache. Celui-ci a imaginé une sorte de suite à En attendant Godot de Beckett. Un jeune couple de SDF vit un huis clos aux prises avec une attente angoissée à l’instar des protagonistes de la pièce de Beckett. Ils attendent Godex, personnage mystérieux, inquiétant, supposé les sauver de la misère et de l’indifférence. Oppressant !
Je ne connaissais pas Morts sans sépulture de SARTRE, la jeune compagnie de futurs professionnels « l’Ombre Noire » y était parfaite. La pièce pose la question : Qu’aurions-nous fait à leur place ?
1941. Cinq résistants sont faits prisonniers par la milice française. Dans l’attente d’être interrogé, chacun se retrouve seul face à ses doutes. Parler ou se taire ? Dès la première torture et l’arrivée de leur chef, arrêté sous une autre identité, tout bascule…
Avec Larguez les amarres de J-Claude Martineau dans une micro salle de théâtre ce fut la détente. Une comédie policière menée tambour battant par une bande de jeunes ados pleins d’énergie et de fantaisie, bref de la graine de pros … Rafraîchissant !
Le sommeil délivré d’après le roman d’Andrée Chédid m’avait été recommandé : une femme égyptienne raconte sa triste existence de fille et de femme mariée malgré elle, à 15 ans, avec un rustre . Leur petite fille meurt faute de soins rapides, mais « ce n’était qu’une fille ! c’est ainsi, il faut se résigner » disent les vieilles femmes. Elle ne se résignera pas et, excédée, commettra l’irréparable. La comédienne est gagnée par l’émotion, comme elle nous sortons les larmes aux yeux . Révoltant !
Avec Les vivacité du capitaine Tic de Labiche on revient au classique du boulevard sans prétention en costumes d époque. Un militaire démissionnaire est en compétition amoureuse avec un statisticien hautain et glacial. L’amour l’emportera … Un excellent dérivatif entre deux drames.
Opéretta : Des airs d’ opéra et d’opérettes nous sont interprétés de façon burlesque par un groupe de 30 catalans chanteurs lyrique et comédiens. C’est la dernière, à guichet fermé, la salle est bondée et enthousiaste, et des spectateurs sont même assis par terre. Ils ont promis de revenir l’ an prochain. Epoustouflant !
Cravate club comédie policière intimiste : deux associés, amis de toujours finissent pas se disputer et se fâcher gravement à la suite d’un malentendu. Echanges de reproches, la rancune et les non-dits explosent, la colère éclate et c’est le drame. Une interprétation juste et prenante.
La dispute de Marivaux. Pas de marivaudage mais une étude d’entomologiste sur la nature humaine proposée par l’auteur : Qui de l’homme ou de la femme a commis le premier péché d’inconstance ? Marivaux nous propose une expérience : deux filles et deux garçons, élevés chacun seul depuis 18 ans hors de la société, sont mis en présence les uns des autres. Chacun se découvrira en tant qu’être sexué, filles et garçons se montrent également inconstants, mais les couples restent unis. L’expérience montre que l’on ne peut prouver lequel des deux sexes a, le premier, péché par l’inconstance.
Cela vous a plu ? La prochaine fois je vous guiderai en détails pour que puissiez passer, comme moi, quelques jours ensoleillés et enrichissants en Avignon, au pays du théâtre !
Marie-France VAINGUER
Du TAM de MOISSAC (82)